Eh, oui, si les fictions transmédias semblaient si dures à définir, c’est qu’elles ont plusieurs formes !
La première forme, probablement aussi la plus rependue est le transmédia à média maître inaltérable.
Il s’agit d’un transmédia, comme l’a défini H. Jenkins1, mais dont la trame narrative principale se déploie sur un seul et unique média (média maître). Ce média maître, généralement réalisé en premier, porte à lui seul une fiction complète et compréhensible sans avoir recours à d’autres médias. Toutes les autres ramifications de l’histoire, déclinées sur d’autres médias, permettent d’approfondir et/ou de compléter l’histoire portée par le média maître. Ces médias secondaires ont aussi souvent pour but d’intégrer davantage la fiction dans le quotidien du public, mais parmi ces autres médias aucun ne peut influencer ou modifier ce qui est raconté sur le média maître ; il est inaltérable (narrativement parlant).
C’est le cas du transmédia de la série Dexter2. Le média maître est la série télévisée (adaptée du livre3) qui dévoile au public l’histoire principale : « Expert en médecine légale spécialisé dans l’analyse de traces de sang dans la police le jour, tueur en série la nuit, Dexter Morgan n’est pas exactement un citoyen américain comme les autres…) ». Cette histoire déjà pré-écrite ne sera pas influencée en retour par les autres médias (secondaires) mis en place pour porter la fiction. De plus, la série peut se suffire à elle-même, aucun autre média n’est indispensable.
Cela n’empêche pas la production de nombreux médias secondaires : installations urbaines, sites internet, produits dérivés, etc., qui permettent de transporter l’univers de la série dans l’espace de vie du public rendant ainsi la fiction plus présente. Entre deux épisodes, le spectateur pourra retrouver ses héros et l’univers de la série grâce au jeu sur son mobile ou sa tablette, il pourra revivre les enquêtes de la série en bande dessinée ou encore échanger son point de vue avec d’autres fans sur le forum d’un des nombreux sites internet destinés à Dexter.
Ainsi tous les médias secondaires pourraient être considérés comme autant de points d’ancrage d’un univers fictionnel dans le quotidien des spectateurs via des supports (livre, smart phone, PC, etc.) faisant partie intégrante de leur vie. La fiction sera même parfois transportée dans l’espace de vie du public, comme ce fut le cas de ces installations urbaines promotionnelles transformant dans plus de quatorze villes aux États-Unis de simples fontaines en fontaines de sang.
Tous ces médias annexes, diffusés en même temps que la série, participent à la création de l’univers Dexter et sont directement nourris par le média maître. Mais, ils ne permettent pas au public d’influencer ce qui se passera dans le prochain épisode de la série ; quels que soient les interactions entre le public et les médias secondaires, le média maître restera verrouillé. La structure des transmédias à média maître inaltérable pourrait donc être représentée de cette façon :
Dans cette forme de transmédia, les liens narratifs inter-médias ne se font que dans un sens : du média maître vers les médias secondaires. Il s’agit de la forme transmédia la plus répandue, car, étant plus limitée en terme d’interaction entre les différents supports, sa mise en place est moins périlleuse financièrement parlant ; la cohérence narrative est plus facilement conservée grâce à cette inaltérabilité du média maître.
Notons que les transmédias à média maître non-altérable peuvent, parfois, être assez proches des cross-média par adaptation. Si l’on se fie à la définition d’Henry Jenkins, la nuance entre les deux peut parfois résider dans le jugement de chacun concernant ce qui constitue une « contribution significative », ou non, apportée par les différents médias. Ces nuances sont assez subtiles et dépendent de la sensibilité et la subjectivité de chacun, c’est pourquoi des débats demeurent.
1« histoire transmédia se déploie au travers de multiples supports, avec chaque nouvel élément apportant une contribution caractéristique et précieuse à l’ensemble »
2James Manos Jr, Dexter, 2007
3Jeff Lindsay, Ce Cher Dexter, Seuil. (Points, 2006).