Après le transmédia à média maître inaltérable, et le transmédia à média maître altérable, nous sommes heureux de vous présenter le troisième type et dernier type : le transmédia sans média maître. Ce type correspond à la définition de « transfiction »1 proposée par Christy Dena ; ces transmédias sont aussi nommés fiction totale. Tous les médias doivent être combinés pour former une fiction unique, ce qui a pour conséquence de faire disparaître un éventuel média maître : aucun média ne peut être exploré seul et aucun ne sera maître. Chaque média est dépendant de l’ensemble. Cela crée des structures narratives complexes. Notons que certaines de ces transfictions peuvent en apparence posséder un média maître (un site internet rassemblant l’ensemble de la communauté, par exemple) cependant, il s’agit d’un média prioritaire par rapport à l’usage et non par rapport à la fiction en elle-même : pour vivre la fiction le public utilisera continuellement ce média ; seulement il n’est pas plus porteur de l’histoire que les autres. Ainsi, quels que soient les degrés d’usages des différents médias d’une transfiction, ils sont tous supports de la narration principale.
Il s’agit généralement d’une aventure hybridant le réel et l’imaginaire dans le but d’immerger le spectateur, jusqu’au point où il pourrait confondre réel et fiction, ou jeu et hors jeu ? Dans ce type de transmédia, le réel pourrait alors être considéré comme un support de la fiction à part entière.2Ce type de transmédia permet une histoire de toutes pièces. L’espace réel, les réseaux sociaux, les mondes de synthèses (MMOG) sont autant de supports de la narration au service de la fiction. Les différents supports et médias mis en place sont généralement assemblés pour faire comme si… le rêve était vrai. La plupart des ARG (Alternate Reality Game)3, utilisant différents médias porteurs de la fiction, correspondent à ce type de transmédia.
Notons que certaines émissions de télé-réalité conrespondent aussi à cette catégorie de transmédia, mais, en considérant que la télé-réalité ne fait pas partie des œuvres fictionnelles, nous écarterons ces réalisations. De plus, nous n’aborderons pas, non plus, les ARG qui ne seraient pas transmédias.
Un des premiers projets de transfiction en France fut le jeu « In Mémoriam »4. Dans ce jeu PC, le joueur devait résoudre une enquête à partir d’une seule pièce à conviction : le CD du jeu. Le joueur pouvait recevoir des SMS, échanger avec des personnages de fiction, etc., et jouer à s’immerger dans une enquête fictionnelle laissant parfois le doute entre jeu et réalité.
L’idée d’un ARG ultime a été développée en 1997 dans le film « The Game »5. À ma connaissance, il n’existe pas (encore ?) d’ARG si poussé actuellement. Ce type de fiction soulève de nombreuses questions que nous aurons le loisir d’aborder tout au long de ce mémoire de thèse, telles que les raisons de la multiplication de ce genre de projets dans notre société, leur impact en terme d’immersion pour le joueur, la mise en place du terrain fictionnel et réel qu’ils permettent, et le potentiel créatif pour un auteur de ce genre de réalisations.
Pour conclure, cette typologie des trois transmédias (média maître inaltérable, altérable, et sans média maître) départage les projets en fonction du degré d’interaction entre les différents médias mis en place pour porter la fiction. Il aurait été possible de classifier différents types de transmédia par rapport à d’autres caractéristiques, mais nous verrons par la suite que cette dernière est particulièrement pertinente par rapport aux problématiques de cette recherche.
Notons que certains projets peuvent présenter des variantes ; on peut trouver, par exemple, deux médias altérables entre eux qui forment à eux deux un bloc médias-maîtres inaltérables. C’est le cas du transmédia « Wakfu » qui possède deux médias maîtres ; la série TV et le jeu en ligne. Des actions dans le jeu (déblocage d’un donjon, etc.) ont des répercussions sur la série et inversement, regarder la série donne des informations utiles pour le jeu. Dépendent ensuite de ces deux médias maîtres de nombreux médias secondaires (art books, jeux de plateau, etc.) qui ne permettent pas d’interagir avec les deux médias maîtres.
Ainsi les variantes de ces trois catégories de transmédia peuvent être nombreuses et certains projets transmédias peuvent appartenir à plusieurs sous-catégories soit parce qu’ils ont évolué dans le temps d’une catégorie à une autre, soit parce qu’ils présentent des particularités faisant d’eux des projets hybrides.
Notes____________
1Christy Dena, “Transmedia Practice: Theorising the Practice of Expressing a Fictional World across Distinct Media and Environments” (School of Letters, Art and Media, Department of Media and Communications Digital Cultures Program, University of Sydney, 2009). Notons que cette définition ne contredit pas celle de H. Jenkins, elle la limite et la complète.
2Nous détaillerons cette hypothèse dans la partie concernant les supports.
3Traduit en français par Jeux à Réalité Alternée.
4Éric Viennot, In Mémoriam, 2003.
5David Fincher, The Game, 1997.